La belle Astrid et Madame M
- Je fais, dans cet article, référence à la toute jeune reine de Belgique morte dans les années trente -
Ce que je vais vous confier, ici, date d'une époque, où je ne savais pas lire - lors de ma première découverte - et d'une autre, où le nom du célèbre photographe était encore loin de me parvenir - lorsque je tombais en admiration devant cette femme sur son vélomoteur - l'été suivant ma sixième,
Vous devriez comprendre, alors, pourquoi je pense que toutes les femmes sont belles et pourquoi je trouve que certaines sont plus avenantes,
La belle Astrid,
Je feuilletais une encyclopédie illustrée et tombais sur le portrait d'une femme, Que dis-je? Un ange aux yeux si clairs, qu'ils semblent être des reflets de bulles, les boucles, qui encadrent son fin visage, paraissent comme des fleurs séchées par des vents caressants et doux,
Je contemple ce visage et sais déjà que je veux devenir telle, J'ignore, alors...
La beauté intérieure de cette jeune reine, sa bonté, l'amour que lui portent les Belges, le drame... J'apprendrais, les années suivantes, que l'apparence est éphémère et qu'elle est secondaire et compagne farceuse et complice au gré des souffles,
Madame M,
C'est bientôt l'heure où le portail du jardin d'enfants va s'ouvrir, laissant s'engouffrer, dans son allée, les mamans, papas, grands frères, grand-mères, tantes... venus chercher la marmaille,
Moi, ce sont mes petits frères que je dois ramener à la maison,
Je trouve le temps long, comme toujours,
Et là... -Vraiment Doisneau en aurait sublimé les traits, s'il l'avait vu -
Elle est assise en amazone sur un solex dans une robe blanche parsemée de grandes tulipes mauves et rouges comme empruntée aux années 50, Sa coupe façon garçonne affine ses traits et ses lèvres carmins tranchent comme des pétales de sang avec sa peau clair de lune, Elle porte un petit blouson de cuir cintré proche du perfecto, A son bras, un grand cabas d'où dépassent des verts de poireaux, branches de céleri et fanes de carottes, Elle fume une longue cigarette, qui lui donne un air rêveur et paisible,
Je suis en admiration, J'en oublie mes frères, pourquoi je suis là,, qui je suis, J'en oublie que je respire...
...Tout à coup, elle me sort de ma torpeur,
Elle s'est redressée, ses mains crispées au guidon de son solex, les aiguilles de ses escarpins plantées dans les pédales, Son cabas, tombé à terre, laisse voir un magazine de tricoteuse et le journal local, Elle a passé la sangle bouclée de son casque bol à hauteur du coude qu'elle dissimulait l'instant d'avant,
Ses traits sont durs, Un rictus d'enragée en prise à la démence, traverse son visage de part en part, Sa peau est livide et sanguine comme prête à exploser,
La furie vulgaire qui sort de sa bouche contraste tellement avec son apparence que j'en reste figée,
D'où est apparu ce monstre?
Je le sais, aujourd'hui, Comme de la métamorphose du hideux peut naître le sublime, le beau peut voiler le mal et le bien se fondre dans la laideur,
L'équilibre entre l'envol du majestueux cygne et la chute du vil canard est, à la fois possible et fragile,
Je n'arrive pas à expliquer mon trouble, Je suis en colère et frustrée, De quel droit, a-t-elle bousculé le charme? Qui est cette dame, qu'elle insulte copieusement? Que vient-elle faire à rompre la suspension du temps?
Mon rapport à la beauté s'en trouve bouleversé,
Non, que je ne verrai plus jamais la beauté dans les traits et courbes d'une femme, Bien au contraire, Il a suffit d'un sourire pour que revienne la magie, Celui de cette mère sur son solex, à l'adresse de ses enfants,
C'est encore dans des sourires que je la vois chez les femmes de tous âges,