Yacinth

Yacinth

Les trois frangins

Des années, avant le passage au siècle présent, deux minettes se relayaient pour la tétée et la quête de nourriture, La plus âgée et mère de la seconde avait trois chatons mâles, La plus jeune, en avait deux, dont une petite femelle, 

Il m'arrivait de leur apporter des restes - souvent de la charcuterie - et du lait dans lequel, j'ajoutais un jaune d'oeuf, 

Un jour, en fin d'après midi, ma fille est venue m'alerter que des petits "décérébrés" du bulbe s'amusaient à asperger les mères et leurs progénitures de carburant pour deux roues, 

Dans la panique, la plus jeune a pris la fuite, abandonnant ses petits, 

- Je ne l'ai jamais revu et j'ai compris pourquoi, elle n'avait pas tenté de sauver l'un et l'autre de ses chatons -

La plus âgée a pris le petit marbré dans sa gueule et s'est sauvée par un trou dans un mur, 

Puis elle est revenue, crachant, profitant de notre présence, à mes enfants et moi, pour venir prendre le tigré et blanc, 

Nous avons attendu qu'elle revienne chercher le dernier, Mais elle n'est pas réapparue, 

Il respirait difficilement, était imbibé, graissseux et puait à faire vomir, 

Je comprenais qu'elle ne pourrait le sauver et qu'elle le savait, 

Quand, je l'ai pris dans mon torchon, je me suis sentie aussi désemparée qu'elle devait l'être, 

Cette toute petite masse noire dans ma main, Si petite, Comment allais-je empêcher qu'elle ne meurt?

 

- Etape un, trouver une tige, une paille... de quoi lui insuffler de l'air -

Evidemment, je n'ai rien, si ce n'est un tube de stylo bic - trop gros -

Je finis par débarrasser la tige, d'un cure oreille, de ses cotons, 

A mon souffle, il tressaille un peu, mais rien de rassurant, 

Je comprends que c'est tout son petit corps qui a besoin de respirer, 

Au risque de le noyer, je dois lui faire prendre un bain, 

Tout en continuant de souffler doucement dans la tige, j'écris sur une feuille à chaque pose, ce dont j'ai besoin,  et la tend à mes enfants, 

Nous faisons avec les ressources du moment et le souvenir de l'expérience de camboui sur des baskets et des tongs,

 

- Etape deux débarasser le chaton du carburant -

Bientôt, sur la table une bassine d'eau chaude, une bouteille d'huile, un flacon de produit vaisselle, 

Sous le regard médusé de mes enfants, je masse le petit corps avec une bonne rasée d'huile, 

Puis, sitôt, je le plonge dans la bassine et le  frictionne dans une eau  bien mousseuse, 

Je file à la salle de bain, lui faire un premier rinçage sous le robinet et revient lui insufler de l'air, 

Il respire un peu mieux, 

Je recommence, Cette fois, moins d'huile, plus de savon, 

Il respire nettement mieux, 

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Gardant la tige dans ma poche, je l'enveloppe dans une petite serviette et fonce à la pharmacie - C'est la station médicale, la plus proche, encore ouverte à cette heure -

Je n'ai pas pensé à prendre d'argent, pourtant, je vais en ressortir avec des conseils, un petit biberon, une boîte de lait et un petit chaton tout frissonnant de vie, 

Il a, à peine, trois semaines, il n'est pas vraiment noir, mais courlepoint de la truffe aux bouts des pattounes, Plus grand, je lui découvrirai des taches semblables à celles des panthères noires,

Edouard a rejoint notre petite famille, 

 

Max, son frère - le petiit marbré - sera accueilli dans une maison proche de mon immeuble, Il mourra à l'âge de seize ans, bousculé par une voiture, 

 

Matou ou Maho - selon les humeurs du jour - sera adopté, à deux rues, puis abandonné, 

Je le découvrirai des années plus tard, 

A l'époque, il était tellement habitué à vivre son errance et sa liberté, que nos tentatives, à un voisin et moi, pour l'accueilir ce sont vouées à l'échec, 

La dernière fois, qu'il a accepté de monter, il a fait le tour de l'appart, s'est un peu couché sur le canapé et s'est planté devant ma porte, 

Il pouvait être des mois sans montrer le bout de sa truffe, Mais vous l'auriez reconnu à son miaulement, 

Un dimanche matin, que je venais de nettoyer les zones de nourrissage, Son miaulement a retenti derrière moi, Cela m'a surprise, vu son grand âge et le temps qui avait passé - presque quatre ans - je ne pensais plus le revoir, 

Nous étions en octobre 2014 - 25 ans plus tôt, je recueillai Edouard -

 

Bien qu'ayant vécu une vie d'errance, Matou est le dernier des trois frangins  à les rejoindre dans la mort,

Je me suis assise sur les marches, J'ai compris lorsqu'il s'est installé sur moi, qu'il s'en allait, 

J'aurai pu l'emmener voir un vétérinaire, Ç'aurait été trahir sa confiance, Il était venu à moi comme pour me remercier, me dire au revoir, 

 

Des trois frangins, Edouard est celui qui me manque le plus, Je n'ai toujours pas fais mon deuil, 

Je pense souvent à Matou, D'autant que je vois quotidiennement sa descendance,

Quant à Max, il m'arrive de le revoir chasser tous les intrus qui s'aventuraient devant chez lui, 



12/05/2024